Enigma : le renseignement au coeur de la seconde guerre mondiale

L’Histoire commence avec l’écrit. La cryptologie est-elle donc le plus vieux métier historique ?
La nécessité de cacher ses pensées à ses adversaires et de les rendre lisibles à ses alliés a toujours été vitale dans les activités humaines qu’elles soient privées, religieuses, diplomatiques, commerciales ou militaires.
Aux alentours de 1900 avant J.-C., des hiéroglyphes inusités sont employés dans une inscription. Les Hébreux utilisent un codage par substitution mono alphabétique dès 500 avant J.-C. La scytale lacédémonienne consistait en un message écrit sur une bandelette disposée autour d’un bâton, elle n’était lisible que si l’on possédait un bâton du même diamètre. On a écrit sur la tête rasée d’un esclave. Celui-ci ne partant qu’une fois ses cheveux repoussés et le destinataire le tondait. La confidentialité y gagnait ce que la vitesse y perdait … D’autres systèmes sont restés célèbres : Le carré de Polybe, le chiffre de César. Plus proche de nous, le grand chiffre de Louis XIV reposait sur un principe simple mais efficace : La substitution s’effectuait non pas au niveau des lettres mais des syllabes qui se voyaient attribuer un nombre fixe. La défaite de 1870, l’esprit de revanche sont à l’origine, en France, d’un foisonnement intellectuel auquel n’échappe pas la cryptographie. Elle devient alors le domaine des scientifiques : Un bon procédé de chiffrement doit être mathématiquement indéchiffrable. Lors de la première guerre mondiale, le chiffre allemand est cassé grâce à la capture de ses livres de code. Cette découverte permet entre autre de déchiffrer le télégramme Zimmermann dont la divulgation fera entrer les Etats-Unis dans la guerre. Après 1918, l’état-major de la Reichswehr, conscient des faiblesses de son chiffre, cherche alors une machine à coder absolument fiable.
En octobre 1919, un inventeur hollandais, Hugo Koch, crée une machine à écrire secrète. Découragé par son insuccès commercial, il cède son brevet à un Allemand, le docteur Arthur Scherbius qui la baptise Enigma. Le fabricant allemand, Chiffriermaschine A.G. Berlin, dépose un brevet au bureau d’enregistrement londonien conformément à la loi mais cette demande n’éveille pas non plus l’intérêt du SIS britannique. Cette machine, qui ne rencontre qu’un succès commercial très limité, attire, en 1926, l’attention du colonel Erich Fellgiebel, responsable des transmissions de la Reichswehr qui en acquiert pour sécuriser les communications de certaines unités. Prudent, le colonel Fellgiebel confie à un comité d’experts scientifiques la vérification de la sécurité de la machine. Ceux-ci annoncent, en 1929, qu’elle n’est pas sûre : La période de 17 576 alphabets possibles n’est pas suffisante. Ils suggèrent donc d’ajouter un tableau de 26 connections à prises doubles correspondant au 26 lettres réunies, deux par deux, par des fiches mobiles appelées des «Steckers ». Le courant passe deux fois à travers ces fiches, à l’entrée et à la sortie pour faire un double surchiffrage qui multiplie les possibilités de combinaison pas un facteur infini.
Le principe de fonctionnement d’Enigma repose sur des rotors alphabétiques placés sur un cylindre dans n’importe quel ordre. Le circuit électrique interne de chaque rotor peut être aligné dans n’importe quelle position. Le chiffrement ne dépend que de la position du premier réglage des rotors. Les fiches sont insérées, au hasard, dans un tableau. Ces éléments variables, appelés cartes de réglage, sont modifiés quotidiennement. Si l’adversaire possède une machine identique mais pas de carte de réglage, il ne peut accéder au contenu des messages.
Il y a trois éléments à connaitre pour pouvoir coder un message avec la machine Enigma.
–         La position des 6 fiches du tableau de connexion : D’abord, il faut choisir 12 lettres parmi 26. C’est donc le nombre de combinaisons de 12 parmi 26, soit 26! / (12!14!). Il faut choisir alors 6 paires de lettres parmi 12, soit 12!/6!, et comme la paire (A, D) donne la même connexion que la paire (B, A), il faut encore multiplier par 26. On trouve finalement 100 391 791 500.
–         L’ordre des rotors : il y a autant d’ordre que de façons d’ordonner 3 éléments : 3!=6.
–         La position initiale des rotors : chaque rotor ayant 26 éléments, il y a 26x26x26=17576 choix.
On obtient donc 1016 possibilités ce qui exclut tout décodage avec les moyens techniques de l’époque.
Enigma présente le défaut majeur d’être très consommatrice en personnel. Il faut au moins deux opérateurs pour chiffrer un message (un qui frappe le message lettre par lettre et l’autre qui lit les voyants lumineux et écrit sur une formule spéciale), deux pour le décrypter et deux opérateurs radio pour envoyer et recevoir le message crypté. De plus, le clavier ne comportant que des lettres, la transmission d’un état chiffré doit s’avérer longue et fastidieuse puisqu’au lieu de « 22 » il faut écrire « vingt-deux ». Il faut noter que, pour améliorer encore la sécurité des transmissions, les services allemands mettent au point la Geheimschreiber T 52, fabriquée par Siemens et qui dispose, elle, de 12 rotors. Son encombrement la réserve aux communications de l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht). Confiant dans l’inviolabilité d’Enigma, les Allemands en dotent toute la Wehrmacht (Heer, Luftwaffe et Kriegsmarine), la Gestapo, la SS et même l’Abwehr …
Les services de renseignements polonais, particulièrement attentifs aux intentions de leurs voisins soviétiques et allemands ne manquent pas d’intercepter les communications radio de la Reichswehr. On conçoit leur inquiétude quand, à partir de 1933, celles-ci deviennent peu à peu indécryptables ! De plus, la machine Enigma a été retirée du commerce et aucune documentation technique n’est plus disponible … Après bien des recherches, les services polonais peuvent trouver sur le marché une version commerciale d’Enigma. Ils la confient à la section BS4 de l’état-major, un des meilleurs sinon le meilleur service de cryptage-décryptage d’Europe. Le BS4 recrute alors, pour percer le code allemand, de brillants mathématiciens germanophones, Rejewski, Rozycki et Zygalski, qui réussissent à résoudre le problème a priori insoluble des câblages internes des rotors.

 




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